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infatigable démon ! Nul repos. On dirait le Juif errant de Jérusalem réincarné. Il faut qu’il aille toujours, qu’il revienne, qu’il parte en d’autres lieux, sur d’autres eaux. Son ombre court plus vite que lui, au soleil, sur l’herbe et sur le sable, et il faut qu’il aille où va son ombre — plus loin ! Sa destinée est d’être ailleurs. Et la preuve qu’il s’agit bien d’une irrémédiable destinée, c’est qu’il en eut le pressentiment tout de suite. Prodigieusement précoce, il écrivait dès 1873, c’est-à-dire à l’âge de dix-neuf ans, dans ses admirables Illuminations, ces lignes prophétiques : « Ma journée est finie ; je quitte l’Europe. L’air marin brûlera mes poumons ; les climats perdus me tanneront. Nager, broyer l’herbe, chasser, fumer surtout ; boire des liqueurs fortes comme du métal bouillant. »