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Or tout s’y mire en un reflet double et jumeau :
Ceux-ci gardent le rose ancien d’un couchant rose
Qui leur fut un moment d’amour essentiel
Et s’effeuilla dans eux comme une vaste rose ;
Ceux-là sont bleus d’avoir tant regardé le ciel,
Et, si ceux-ci sont bleus, c’est d’encens qui subsiste.
Puis en d’autres — recels compliqués — il y a
De vieux bijoux, de grands arbres, un clocher triste,
Des visages que trop d’absence délaya.
Des linges démodés d’enfant morte, des cloches,
Et des anges dont on devine les approches
À voir, au fil des yeux qui s’en sont tout remplis,
Leur robe comme un orgue aux longs tuyaux de plis.

Ah ! les yeux ! tous les yeux ! tant de reflets posthumes !
Reliquaires du sang de tous les soirs tombants ;
Chaires où toute noce a promulgué ses bans ;
Sites où chaque automne a légué de ses brumes.
Yeux ! carrefours de tous les buts s’y résumant ;
Fenêtres d’infini ; calme aboutissement ;
Car tout converge à ces vitres de chair nacrée,
Miroirs vivants eu qui l’Univers se recrée.