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LA VIE DES CHAMBRES.

Vers la fenêtre où s’offre un linceul de dentelle.
L’ombre est un poison noir, d’une douceur mortelle !
Et voici qu’on frémit d’on ne sait quoi… c’est l’heure
Où le vol libéré des âmes nous effleure ;
Ah ! Quel trouble ! Et les peurs, les peurs dominatrices
Dans les rideaux des lits agitant des fantômes !
Et ces sachets du linge aux sensuels arômes !
Et les lampes, là-bas, rouvrant leurs cicatrices,
Qui vont recommencer à faire saigner l’ombre !
Mais l’ombre se défend contre les lampes frêles,
Épaississant dans les angles sa force sombre
— On écoute les moucherons griller leurs ailes… —
Et l’on soupçonne, à voir mourir les bestioles,
Que c’est l’obscurité qui se venge ainsi d’elles
Pour avoir aimé mieux que ses noires fioles
Le soleil qui revit dans les lampes fidèles !