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C’est fini tout espoir, tout effort manuel
Pour tirer de la vie un peu de renaissance
Et vendanger soi-même, ainsi qu’on le voulait,
Quelques grappes encor de raisin violet…
Les vignes sont en proie à d’autres que j’ignore ;
Déjà le vin fermente en leur pressoir sonore ;
Et pour moi désormais, terrain hostile et nu,
La vie est un jardin d’épines et d’épées.
Mais les rêves du moins sont le monde ingénu
Où se réfugieront nos mains inoccupées ;
Qu’importe, au loin, la vie, et les appels des cors !
Les liesses du cuivre énamouré sont brèves,
Et notre âme sait bien qu’il n’y a que les rêves
Qu’on puisse aimer toujours comme on aime les morts.
Les rêves ! Eux, du moins, sont une amitié sûre,
Joyaux où dort une lumière qui s’azure
Éternelle et multicolore comme l’eau…
Et cela met en nous un trésor frais et beau.