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Quelle main de ton front a fait tomber les fleurs
Pour y plonger l’épine, et fait jaillir les pleurs
De tes yeux, comme l’eau qui déborde d’un vase ?
Pourquoi ce vieillard blanc que la douleur écrase
Comme s’il descendait les marches d’un tombeau
Descend-t-il la montagne où plane le corbeau ?
Voilà le vent qui souffle et l’esquif se balance,
Voguant vers Nonnenwerth au milieu du silence ;
Et dès qu’il a touché cette île aux verts abords,
La cloche du couvent, comme un tocsin des morts,
Tinte dans l’air, et mêle à sa rumeur plaintive
Les cris désespérés qui partent de la rive !…

Sonnez, cloches des morts ! Cierges, allumez-vous !
Qu’on tende en noir l’autel !… pâles sœurs à genoux !
Car cette vierge en pleurs va mourir pour le monde
Et se donner à Dieu… priez pour Hildegonde !…

Cependant son vieux père était resté tout seul,
Drapé dans sa douleur comme dans un linceul,
N’ayant plus d’un vivant que la froide apparence
Et souhaitant la mort comme une délivrance.
Un soir un chevalier, sombre sous son manteau,
La visière abaissée, entra dans le château,
Et s’informa du comte Ermann auprès d’un garde.
Ermann vint. L’étranger le salue et regarde,
Ne le reconnaît pas, tant il a de pâleur
Et de rides, sillons que creuse la douleur !…
« Seigneur, je cherche Ermann qui m’a promis sa fille ? »

Le vieillard chancela mourant contre la grille…