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A mis, comme échanson, sa gente damoiselle ;
Un hanap d’or en main, elle verse avec zèle,
Douce, les cheveux blonds sur la tempe aplatis,
Les yeux rêveurs plus bleus que des myosotis !
Roland la regarda : son cœur battit plus vite,
Et, présentant la coupe à sa voix qui l’invite,
Il trembla, ce bras fort du prince féodal
Qui tenait sans faiblir l’immense Durandal
En la faisant tourner pour moissonner les têtes ;
Et sa voix, comparable au souffle des tempêtes
Dans son grand cor d’ivoire au milieu des combats,
Expira sur sa lèvre et s’éteignit tout bas
Devant cette enfant faible et pourtant formidable.

Oh ! l’abîme profond et le gouffre insondable !
Roland, jamais vaincu, rencontrait son vainqueur !

Ils s’aimèrent !… L’amour, joyeux avril du cœur,
Leur donna ses chansons et ses roses nouvelles ;
Dans leur être ils sentaient comme un battement d’ailes ;
La gaîté sur leur front allumait sa lueur,
Et s’ils pleuraient, c’étaient des larmes de bonheur !…
Mais, tandis qu’ils rêvaient cet éternel mystère
De cacher leur amour dans ce coin solitaire,
Comme l’aigle bâtit sur un roc sourcilleux
Son aire où ses petits naîtront plus près des cieux,
Roland fut rappelé : son oncle Charlemagne
Voulait qu’il repoussât les Maures de l’Espagne.