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Mais qui donc étais-tu ? — Joyeuse fille brune
Aux grands yeux noirs, chantant le soir au clair de lune ?
Femme blonde, cachée à l’ombre d’un couvent ?
Guerrier au teint bronzé que la mort prit vivant
Sous son drapeau, linceul qu’avaient coupé les glaives ?
Artiste, poursuivant un fol essaim de rêves ?…
Travailleur attaché, jusqu’aux sombres lueurs
Du couchant, au sol dur qu’engraissaient ses sueurs ?

Qui le sait ? le sourire ou les larmes amères
Ont passé, sans laisser leurs traces éphémères
Sur ce crâne blanchi !… Voit-on dans le miroir
Quand la main l’a brisé ? Distingue-t-on le soir,
Sur l’étang, le reflet des clartés de l’aurore ?
Quand la fleur est flétrie embaume-t-elle encore ?

N’importe ! en te scrutant, crâne vide et béant,
Je sais bien que la mort n’ouvre pas le néant,
Et j’ai foi dans la vie éternelle et dans l’âme ;
La lampe éteinte sert à me prouver la flamme !…