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D’ailleurs le siècle même est un juge sévère
Il condamne le fils par la voix de sa mère
Quand son cœur de vingt-ans tressaille et veut aimer.

La Muse.

Toi qui n’aimas jamais pourquoi donc blasphémer
Ce mot mystérieux que la nature épelle !
J’aime ! chante la brise à la rose nouvelle,
J’aime ! redit l’étoile au soleil, son amant !
La nature a poussé ce cri dès son enfance
En levant ses deux bras vers le bleu firmament
Et le répétera quand faible et sans défense
Elle ira s’engloutir dans l’éternelle nuit !
Aveugle ! tu ne peux maudire la lumière !

Le jeune homme.

Ô Muse ! je la cherche et toujours elle fuit !
Hélas ! je suis aveugle, et mon erreur première
C’est d’aller mendier un cœur près des passants
Qui ne s’émeuvent point de mes tristes accents !
Je suis Pygmalion enlaçant Galathée
Et ne retrouvant plus dans ses bras impuissants
Qu’un marbre froid. Je suis un nouveau Prométhée
Ayant au fond de l’âme un peu du feu divin.
Muse ! j’ai soif d’amour, j’attends et c’est en vain !
Car la réalité qui me poursuit sans trêve
De sa main froide et nue a bien vite brisé
L’idéal que j’avais caressé dans mon rêve
Et que je crois voir luire à mon œil épuisé.