Page:Rodenbach - Le Foyer et les Champs, 1877.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lorsque la nuit aura fermé ses noires ailes,
Et fait place à l’aurore empourprant l’horizon,
Abandonne l’étude et ta froide maison
Et gagne les bois verts luisant des étincelles
Que le soleil tamise à travers les rameaux.
Cherche l’amour ! C’est là le remède à tes maux :
Comme Faust emporté par un sombre génie,
Tu pourras entrevoir ta Marguerite en pleurs
Humble, filant du lin dans sa chambre bénie
Où flottent les parfums des orangers en fleurs.
Tout poëte aux rayons de l’amour doit éclore
Et mêler à son nom le nom d’une beauté ;
Dante aime Béatrix et Pétrarque aime Laure,
L’amant mène l’amante à l’immortalité !
Qu’importe si bientôt la plus ferme tendresse
Doit périr, — tant le sort a de sévérité ! —
On jette le flacon quand on a bu l’ivresse,
Quand on ne l’aime plus, on quitte la maîtresse !…

Le jeune homme.

Ah ! tu veux me tromper, Muse ! Les passions
Les plus nobles de l’âme et les plus généreuses
Y laissent tôt ou tard d’âpres déceptions ;
Et ces amours d’un jour fausses et dangereuses
Effeuillent l’arbre en fleur de nos illusions !
Elles sont pour la lèvre un enivrant breuvage
Dont on sent le parfum sans en goûter le fiel,
Mais la coupe vidée est un pesant bagage
Alourdissant notre aile ouverte aux vents du ciel !