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Le jeune homme.

Mais ceux qui vers la tombe avancent à pas lents
Ne doivent pas sur nous jeter un œil d’envie ;
Plus que mes cheveux blonds j’aime les cheveux blancs,
Je préfère l’automne au printemps de la vie,
Au soleil qui se lève un soleil qui s’endort !
La jeunesse est un bien qu’on regrette à distance,
Que le temps exagère, et que notre inconstance
Fait plus apprécier en marchant vers la mort.
Car nous avons souvent ces heures de souffrance
Où le trépas surgit comme une délivrance,
Où le front est penché dans un pénible effort,
Où l’on fouille son cœur pour y trouver des armes
Dont on puisse frapper et tuer la douleur,
Sans n’y plus rien trouver qu’un flot sombre de larmes
Où la main cherche en vain l’épave du bonheur !…

La Muse.

Dans la coupe pourquoi toujours chercher la lie ?
Pourquoi toujours penser ? Celui qui pense a tort :
Il s’attache un boulet qu’il traîne avec effort.
Vive l’indifférence humaine et la folie !
Ceux-là seuls sont contents qui fermant les deux yeux
Se jettent dans le bruit où l’on s’étourdit mieux !
Suis-donc le tourbillon de la foule frivole ;
Laisse le flot des jours fuir, plus insouciant
Que la rose qui s’ouvre ou l’oiseau qui s’envole.
Fléchis sous la douleur comme un roseau pliant.