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Soudain un vieillard qui trébuche
Au berger demande sa cruche
Tant il a soif d’un long chemin.
À l’épaule, près de la manche,
Il porte la coquille blanche
Et tient un bourdon dans la main.

C’est un pèlerin qui l’implore :
Marchant dès les feux de l’aurore
Il use ses genoux tremblants.
Pareille à la fleur épuisée
Que n’affermit pas la rosée
Penche sa tête à cheveux blancs.

Hélas ! le berger dans la plaine
Vide en jurant la cruche pleine ;
Sans s’arrêter à cet affront
Il laisse le troupeau qui broute
Et jette au vieillard sur la route
Un caillou qui l’atteint au front.

Alors le pèlerin se dresse,
Et levant sa main vengeresse,
Il crie au berger endurci
Qui s’en allait vers sa chaumière :
« Meurs ! puisque ton cœur est de pierre
Que ton troupeau le soit aussi ! »