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Où sont-ils les Pépins rendant justice haute,
Godefroid de Bouillon voulant être ton hôte
Avant que le désert admire sa fierté ?
Louis le Grand, vainqueur, qui foule ta poussière,
L’emportant au talon de sa botte princière
Dans les chemins ardus de l’immortalité !…

Hélas ! ta gloire tombe avec ta vaste enceinte ;
Et les clameurs de guerre ont fait place à la plainte
Que murmure le vent en frôlant tes débris.
Tu dors, dans une morne et funèbre attitude,
Et rien n’arrive plus troubler ta solitude
Que les sanglots profonds des sapins rabougris !…

Écarte, vieux château, cette foule profane
Qui vient sur ton tombeau muet, et le profane,
Joyeuse, sans mouiller de pleurs tes ossements.
Mais laisse les enfants venir avec leurs chèvres,
Car les douces chansons, qui tombent de leurs lèvres,
Rendront un peu de vie à tes vieux murs dormants !…

Laisse aussi le poëte errer dans tes ruines.
Il aime, lui, tous ceux qui portent des épines,
Et trouve en toi l’écho de ses propres douleurs.
C’est pourquoi, quand la lune à tes murs se reflète,
Dans ses vers il embaume, en rêvant, ton squelette
Qu’il lave de ses pleurs !…