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Mais je t’aime surtout, quand le soleil s’exile,
— Roi vaincu — demandant à la nuit un asile,
Drapé dans le haillon des nuages salis ;
Quand les étoiles d’or luisent dans les ténèbres
Comme autour d’un cercueil de longs cierges funèbres,
Et que l’ombre suspend aux humbles toits ses plis.

Où sont-ils tes soldats bardés de fer, tes gardes
Faisant luire sur toi l’éclair des hallebardes ?
Où sont les palefrois piaffant des chevaliers,
Les rendez-vous de chasse au sommet de ta roche,
Les assauts, les tournois, les comtes de Laroche
Ouvrant à tout seigneur leurs seuils hospitaliers.

Où sont les troubadours charmant les châtelaines,
Leurs ballades, de grâce et d’amour toutes pleines ?
Où sont les pèlerins décrivant les Saints-Lieux,
Les aïeules parlant aux pages blonds de fées,
À l’entour du feu rouge éclairant les trophées
Qui couvrent sur le mur les glaives des aïeux ?

Où sont les ducs fameux et les grands capitaines
Dont l’orgueil jalousa tes murailles hautaines ?
Le cor faisant appel à tes bouillants vassaux ;
Où sont ces jours de gloire et ces jours de défaite ?
Car c’était une ivresse et c’était une fête
Pour toi, de tressaillir au milieu des assauts !