Page:Rodenbach - Le Foyer et les Champs, 1877.djvu/45

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


N’avez-vous donc jamais contemplé les nuées,
N’avez-vous jamais eu de fibres remuées
Devant l’éclat du ciel en feu ?…
N’avez-vous pas senti la puissante harmonie
Qui forme entre chaque être une chaîne infinie
Et les rattache tous à Dieu ?

Le néant ! il répugne et ment à la nature !…
Quoi ! le but de la vie est d’être la pâture
Des vers rongeurs dans le tombeau ?
La pitié, la candeur et les vertus vaillantes
Pour seul salaire auront les lueurs vacillantes
Que jette un funèbre flambeau ?

Nous aurons donc en vain quitté la fête humaine,
Fui les chemins de fleurs où la volupté mène,
Pour les sentiers pleins de cailloux ?
La mort unira tout, les vertus et les vices,
Comme l’eau des ruisseaux et l’eau des précipices
Coulent dans les mêmes égouts ?

Quoi ! celui dont la main de sang vif est rougie,
Celui qui prit de l’or, qui para dans l’orgie
Son front des roses du printemps ;
Et celui qui porta la couronne d’épines,
Pauvre, désespéré, marchant dans les ruines
Plié sous des fardeaux pesants ;