Page:Rodenbach - Le Foyer et les Champs, 1877.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Ils s’en vont maintenant, invisibles atomes,
Promener sous le ciel l’ombre de leurs fantômes
Qui s’allonge aux feux du soleil,
Jusqu’à ce que la mort, broyant leurs têtes blanches
Les jette, ricanant, dans un cercueil de planches
Pour y dormir le grand sommeil !

Ils se disent : « Pourquoi, si Dieu vraiment existe
L’humanité va-t-elle agonisante et triste
N’ayant pour flambeau que l’éclair ?
Pourquoi lorsqu’elle marche au milieu des ténèbres
Présenter à ses pieds tant de tertres funèbres
Rien à ses bras levés en l’air ?

« Pourquoi la vague noire au lieu des blanches voiles ?
Pourquoi le diadème éclatant des étoiles
Si le front demeure caché ?
Pourquoi sous le manteau du nuage un squelette,
Pourquoi le soleil d’or que l’océan reflète
Sans la main qui l’a rattaché ?

« Pourquoi ternir de sang l’éclat joyeux des armes,
Faire pleurer l’aurore, et mettre un flot de larmes
Dans le cœur de l’homme et des fleurs ?
Pourquoi sur le haut chêne amasser le tonnerre
Et dénoncer au bec du vautour sanguinaire
Le nid des moineaux querelleurs ?