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À côté dort aussi notre pauvre grand’mère
Qui semble dans la mort vouloir veiller sur vous.
La solitude ainsi vous sera moins amère
Et vous aurez moins peur, tout près de ses genoux.

Qu’il fait lugubre là ! quel calme et quel silence !
Le soleil disparaît dans les cieux obscurcis ;
On n’entend que le bruit du saule qui balance
Ses longs cheveux épars sur les sentiers noircis…

Aux rameaux des cyprès quelques gouttes de pluie
Brillent, comme des pleurs, aux rayons du couchant ;
Et la brise du soir, aux tombeaux qu’elle essuye
Chante avec des sanglots un doux et triste chant.

Le fossoyeur errant parmi les tombes blanches
Va creuser pour demain des fosses dans un coin ;
Tandis que son enfant qui fouille dans les branches
Cueille de pâles fleurs qu’il arrange avec soin.

Voilà tout ce qui reste !… ombres abandonnées !
Une croix chancelante, un tertre de gazon…
Vous souvient-il encor de vos jeunes années,
Quand nous jouions gaîment à trois dans la maison ?…

Pauvres sœurs ! s’en aller au printemps, c’est austère !
Pourquoi Dieu vous prit-il ? Ah ! c’est un Dieu jaloux !
Mais non ! Dieu ne doit pas m’expliquer le mystère
Des blancs agneaux qui sont dévorés par les loups !…