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S’épandait, comme un son langoureux de guitare,
Ils troublaient le concert par un sifflet barbare.
Leur seul aspect faisait enfuir les moucherons
Qui s’abritaient, craintifs, dans le creux des vieux troncs ;
Et la fleur, sur laquelle un doux souffle voltige,
Quand ils étaient passés, gisait près de sa tige.
Ils couraient, s’enivrant de meurtre et de butin ;
Et, plus ils faisaient mal, plus leur rire argentin,
Comme une moquerie, éclatait sur la route.
Soudain l’un d’eux s’élance à la prairie, où broute
Un troupeau de moutons que garde un vieux berger.
Sur l’écorce d’un chêne il pose un pied léger,
S’attache comme un lierre au bout de chaque branche,
Grimpe comme un chat ; puis, haletant, il se penche
Et jette aux compagnons rangés sous l’arbre… un nid
Que la bande joyeuse, en chantant, dégarnit.

Cruels enfants ! de prendre à l’oiseau sa couvée,
Que du cœur et de l’aile il n’a pas préservée !
Que dirait votre mère en pleurs si des méchants
Arrachaient de ses bras ceux qu’ont bercés ses chants ?

La dureté pourtant n’est qu’une ombre à leur âme.

À peine avaient-ils fait cette action infâme,
Et partagé les œufs du nid ensanglanté,
Que voyant un vieillard aveugle et tout voûté,
En haillons, contre un mur couché comme un homme ivre,
Ne pouvant plus porter son fardeau, ni poursuivre