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Les Humbles.

Déposuit potentes de sede et exaltavit humiles.


Hommes ! si vous voyez une bande d’enfants,
Quand le jour qui finit et la nuit qui commence
Mêlent la brise fraîche aux souffles étouffants —
Si vous voyez, petits, sous l’arc du ciel immense,
Ces enfants arranger un frais bouquet de fleurs,
Et, vifs comme un essaim de moineaux querelleurs,
Remplir le chemin morne où les chariots grondent
De cris brusques, auxquels de longs échos répondent ;
Si vous voyez soudain chacun se recueillir,
S’approcher en tremblant, mains jointes, en prière,
D’un vieux chêne penché qui semble tressaillir
En portant à son tronc un petit Christ de pierre,
Et si, dans l’ombre calme où le vent s’assoupit,
Quand le grillon s’éveille et que s’endort l’épi,
Leur chant tendre et naïf flotte à travers les branches,
Hommes ! ne raillez pas ces petites voix franches !…
Leur candeur en sait plus que vos calculs puissants ;
Couronné d’astres d’or, Dieu songe… et les écoute…
Pliez les deux genoux sur le bord de la route
Et laissez vous bénir avec ces innocents !