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Grimpait sur ses genoux, et tout fier chevauchait !…
Et l’aïeul dépensait en bonbon, en hochet
Tous ses sous, pour lui plaire et payer sa tendresse.
Oh ! comme il renaissait sous sa chaude caresse,
Il trouvait son fardeau plus léger de moitié.
L’enfance est bonne ; elle a des trésors de pitié :
Mais le père parfois en rentrant de l’ouvrage
Les voyant qui jouaient à deux, tremblait de rage ;
Il battait son enfant qui suppliait « papa ! »
Et le vieillard eût mieux aimé qu’on le frappât !…

Hélas ! le sort est sombre, et la vie est étrange :
Dans son enfer le vieux n’avait que ce cher ange,
Et la mort le lui prît dans la tendre saison
Où l’immense nature épaissit son gazon
Afin de cacher mieux les morts sous sa verdure.

Loi peut-être profonde, et qui nous semble dure :
Laisser le vieux qui meurt, frapper l’enfant qui naît !…

Il devint insensé, l’aïeul !… Nul ne connaît
Sa mort, mais on l’a vu bien des fois, solitaire,
Errer par la campagne et gratter dans la terre,
Puis fou, las, blême, avec un geste triomphant
Il s’écriait : « Je veux dormir près de l’enfant ! »…