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Vous avez pris vos cœurs dans vos poitrines fortes,
— Ces cœurs, auxquels l’amour eût versé sa clarté, —
Pour les jeter, vivants, sur vos tendresses mortes
Et mieux garder vos corps dans la virginité.

La nature est si belle autour de vos cellules !
La colline est si verte, et si gais les oiseaux !
Mais que fait le soleil, que font les crépuscules
À ceux dont l’espérance est la nuit des tombeaux !

Courbés dans la prière à l’ombre des portiques,
Plus que les astres d’or, vous aimez les flambeaux ;
Plus que les chants du soir, vous aimez les cantiques
Faisant trembler les saints qui peuplent les vitraux.

Parfois un souvenir, tout plein de joie amère
Flotte sur votre cœur, et vous joignez les mains
Priant pour votre père ou votre vieille mère
Que vous avez laissés tout seuls dans leurs chemins.

Vous vivez, unissant vos clameurs suppliantes
Aux crimes de la terre, ainsi que ces roseaux
Qui mêlent leur murmure et leurs tiges pliantes
Aux fanges qu’un grand fleuve entraîne dans ses eaux.

Dinant, 1877.