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Ce doux rêve d’amour commencé dans le rire !…
Mais l’oiseau blessé dresse, au moment qu’il expire,
Son aile, et rêve encor du nid qu’il veut garnir ;
Elle rouvrait son cœur aux projets d’avenir ;
Une rougeur joyeuse empourprait son visage
Comme un frais arc-en-ciel reluit après l’orage,
Et son regard voilé se plongeait dans le mien
Moi, je la comprenais… et je ne disais rien…

Nous étions dans ce calme où l’amour se recueille,
Timides, arrachant à chaque arbre une feuille,
Mordillant des bleuets et fouettant le gazon,
Regardant, sans rien voir, le bout de l’horizon.

Oh ! tout semblait joyeux ! les branches étaient souples,
Les pigeons blancs de neige étaient groupés par couples,
Le ruisseau bleu jasait en roulant ses cailloux.
Nous avions le désir de tomber à genoux ;
Toujours d’accord, au moins faisant semblant de l’être ;
Nous enlaçant tous deux sur le vieux tronc de hêtre
Suspendu comme un pont au fossé du chemin.

Et je marchais rêvant d’un cortège d’hymen
Près des autels, ayant leur éclat du dimanche,
D’une humble fiancée avec la robe blanche,
Et d’une mère avec des enfants aux genoux.

Et vous, objet du rêve, à quoi donc songiez-vous
Quand nous allions ainsi le long de la prairie ?

Ce jour sera peut-être un grand jour dans ma vie !