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suite si loin ! L’espace met le même recul que le temps. Chaque marche de l’escalier obscur créait la distance d’une année. À chacun de ses pas, il délaissa un peu plus son chagrin, immobile comme sa demeure, et diminué avec elle dans l’éloignement, dans la masse déjà confuse de la ville.

Au-dessus de la vie ! Oui, vraiment ! Quelle importance avait à présent sa maison, si minime déjà au bord du Dyver, entr’aperçue derrière les arbres, mettant un pâle reflet dans le canal, qu’on ne distinguait plus. Barbe aussi faisait une ombre si courte, là-bas, dans la vie. Tout cela était mesquin et vain. Il se vida peu à peu de ses souvenirs, tout le bagage humain qui entravait son ascension.

L’air du haut lieu souffla bientôt par les meurtrières, les fentes de la maçonnerie, les baies ouvertes, où le vent affluait comme l’eau aux arches d’un pont. Borluut se sentit rafraîchi, ventilé par cette large brise qui venait des plages du ciel. Il lui sembla qu’elle balayait en lui des feuilles mortes. Des chemins nouveaux lui apparurent dans son âme, qui s’en allaient ailleurs. Il se découvrit de fraîches clairières. Enfin il s’atteignait lui-même.

Oubli de tout, pour la prise de possession de soi ! Il se retrouvait comme le premier homme au premier jour, à qui rien n’est arrivé. Délice de la métamorphose ! Il la devait à la haute tour, au sommet atteint où la plate-forme crénelée s’offrait, reposoir de l’infini !