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la Madone, enclose dans une armoire de verre, au coin de la rue où ils habitent… Il serait long à finir, mais elle avait le temps, dans son existence vide et un peu d’une vieille fille déjà. Elle accumulait au fur et à mesure : une fleur, des rosaces, un emblème — fragments épars du voile dédié. N’était-ce pas comme une collection, aussi, de dessins successifs, avant l’aboutissement du voile total ?

Ressemblance ! Identité ! Vie à deux, où l’un était l’autre, ensemble et tour à tour ! L’un disait ce que l’autre pensait. L’un regardait avec les yeux de l’autre. Ils se comprenaient sans se parler. De vivre toujours à deux, ils furent comme des miroirs face à face, qui reflètent les objets l’un dans l’autre. Van Hulle aimait Godelieve d’une affection jalouse. Naguère il souffrit dans son cœur et presque dans sa chair, à la pensée qu’un homme aurait pu l’aimer, l’embrasser. Mais il la chérissait surtout comme la conscience de lui-même, la preuve de sa propre existence. Il lui semblait que, sans elle, il serait un mort.