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ainsi dire, appelé à décider lui-même en acclamant par avance le vainqueur. C’est pourquoi, on avait choisi le lundi, tout travail cessant à midi, ce jour-là de la semaine, qui de la sorte participait encore de la vacance du dimanche. Ainsi, le choix pourrait être vraiment populaire et unanime. N’était-il pas juste que le carillonneur fût élu ainsi ? Le carillon, en effet, est la musique du peuple. Ailleurs, dans les capitales ardentes, c’est le feu d’artifice qui constitue la fête publique, le don féerique dont s’exaltent les âmes. En ces Flandres méditatives, parmi les brumes humides et rebelles aux prestiges du feu, le carillon en tient lieu. C’est un feu d’artifice qu’on écoute. Gerbes, fusées, lueurs, mille étincelles de sons, dont l’air aussi se colore, pour des yeux visionnaires que l’ouïe avertit.

Donc, une foule s’agglomérait. De toutes les rues avoisinantes, la rue aux Laines, la rue Flamande, étaient venues des bandes qui s’annexaient sans cesse aux groupes antérieurs. Le soleil déclinait déjà, par ces journées abrégées du commencement de l’automne. Il en descendit jusque sur la place une lumière ambrée, plus douce d’être finissante. En face, le sombre bâtiment des Halles, son quadrilatère sévère, ses murs mystérieux, comme faits avec des pans de nuit, s’illuminèrent d’une patine chaude.

Quant au beffroi, qui surplombe, plus haut et surgi au-dessus des toits, il pouvait ainsi recevoir