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Voilà ! Elle fait le geste de mesurer le ciel… C’est pour la tour qui va y monter et qu’elle médite.

— C’est vraiment admirable, déclara Borluut, grave et exalté. Mais combien peu te comprendront, avec cet art-là !

— Pourtant, je vais exécuter, dans ce sens, ma décoration pour la ville, dit Bartholomeus. Qu’importe, si on ne comprend pas ! L’essentiel est de faire beau. C’est d’abord, et surtout, pour moi que je travaille. Il faut que je m’approuve, que je me plaise à moi-même. Qu’est-ce que cela fait de plaire aux autres, si on se déplaît à soi ? Ce serait le cas d’un homme infâme qui passerait pour vertueux. En aurait-il moins ses remords ? Le principal pour le contentement intérieur est d’être en état de grâce. Il y a aussi l’état de grâce artistique. Car l’art n’est qu’une sorte de religion. Il faut l’aimer pour lui-même, pour l’ivresse et les consolations qu’il donne, parce que c’est le plus noble moyen d’oublier la vie et de vaincre la mort.

Borluut écoutait le peintre discourir, émotionné par sa voix ample, calme, comme si elle avait parlé d’au delà des temps. Sa barbe noire s’effilait en buisson raide ; maigre et pâle, il offrait un de ces profils brûlés de fièvre d’un moine en adoration. Tout autour, son atelier, parloir de béguines, avait vraiment l’air d’une cellule. Aucun luxe : sur les murs, rien que quelques morceaux de vieilles chasubles, des bouts d’étoles, par goût des tons fanés, et aussi pour