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est contagieux. Ma bonne Godelieve avait pourtant bien caché qu’elle vous aimait. Moi seul je le savais. Elle ne l’avait avoué qu’à moi, plus encore qu’elle ne se l’était avoué à elle-même. Nous nous disons tout l’un à l’autre. Pourtant elle avait renoncé… Elle avait oublié son amour, pour moi, pour rester auprès de moi, pour ne pas me laisser vieux et tout seul dans la vie, pour ne pas me faire mourir, car je mourrais tout de suite sans elle. Et maintenant, à votre tour, vous l’aimez ; vous me le dites. Elle va le savoir, le voir. Qu’est-ce que je deviendrai, moi ? Je serai seul. Ah ! non, non, laissez-moi Godelieve !

Le vieil antiquaire suppliait, joignait les mains, tout haletant du danger dont il se sentait frôlé, répétant sans cesse le nom de Godelieve, comme l’avare le chiffre d’un trésor qu’il va perdre…

Borluut demeura stupéfait de la révélation et de cette affection paternelle qui s’avouait avec des cris déchirants, une tendresse passionnée. Van Hulle avait parlé si vite, à mots dégorgés comme d’une source qui crève ; il s’était abandonné en un si total désarroi, une si immédiate inconscience de tout, que Borluut n’eut pas le temps ni l’idée de rien intercaler, de ramener la conversation au point exact.

Dans une accalmie, il interrompit Van Hulle, brusquement :

— Mais c’est Barbe que j’aime ! et c’est elle que je venais vous demander en mariage.

Alors Van Hulle, sauvé du péril où il avait cru