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Était-ce distraction, oubli de l’heure réelle, ou l’avait-il prémédité, afin, arrivant le premier, d’être seul, de se trouver davantage dans l’intimité et la familiarité ? Il avait, ce jour-là, plus que jamais rêvé de Barbe, été hanté par elle. C’était comme un avertissement, le pressentiment de quelque chose de décisif qui approche… Quand il eut été introduit dans le vieux salon habituel, il y trouva Barbe qui disposait des verres, des tasses pour le thé. Elle était seule, l’air soucieux. Joris fut un peu gêné d’abord, mais ravi du tête-à-tête. Et, comme pour s’assurer qu’il se prolongerait :

— Et votre père ?

— Ah ! il est bien affairé aujourd’hui… Il s’agissait de ranger son Musée d’horloges, où les domestiques ne peuvent jamais entrer. Il s’est enfermé là, toute la journée, avec Godelieve.

— Et vous ?

— Oh ! moi, je suis restée seule, comme toujours… Ils n’ont guère besoin de moi…

Barbe eut un gros soupir.

— Qu’avez-vous ? lui demanda Joris, soudain saisi d’un vague émoi, d’un apitoiement très tendre, à la voir si en peine, refoulant un commencement de larmes.

Elle ne répondait rien, impénétrable.

— Dites-moi ! qu’est-ce que vous avez ? redemanda Joris, avec une inflexion de voix presque émue.