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Borluut aurait bien voulu savoir, élucider son cas.

Il ne voyait plus bien clair dans la vie, depuis qu’il montait à la tour. Or, ces alternatives le rendaient très malheureux, au fond. Il cherchait à se ressaisir, à raisonner.

— Ah ! qu’on est misérable, songeait-il. Que tout est mal arrangé ! Comme ils sont fragiles, les éléments qu’on a de sa destinée ! Et qu’il est difficile de la reconnaître ! On n’en sait qu’un détail, une couleur d’yeux ou de cheveux. Ainsi pour lui, par exemple, depuis toujours il attendait ces yeux couleur de l’eau, que Barbe et Godelieve ont toutes les deux. Il voyait sa destinée venir vers lui avec ces yeux-là. Mais sur quel visage, avec quelle bouche, quelle chevelure, quel corps, quelle âme surtout, faut-il choisir de tels yeux ? Nous ne savons, en somme, que suffisamment pour nous égarer. L’élément connu, qu’on possède par instinct, par vague avertissement, est comme une clé que le sort nous jette. Et on se met à chercher la maison de cette clé, qui serait la maison de son bonheur. Par malheur, la clé ne va pas que sur une seule porte. On cherche… Tâtonnement ! Mains aux ténèbres ! Gestes pour arrêter l’horizon qui passe ! Et puis on entre, au hasard. Le plus souvent, on s’est trompé ; ce n’est pas la maison heureuse. Elle y ressemble un peu. On songe parfois qu’on aurait pu entrer dans une demeure pire. Mais on songe aussi qu’on aurait pu, comme cela arriva sans doute à quelques-uns,