Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/67

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une communauté d’émoi avec lui. C’est Godelieve surtout, elle qui semblait plus close dans ses robes, qu’il rêvait de voir sur l’écran du store.

Elle était si hermétique, cette Godelieve ! Certes, elle souriait un peu, quand il se tournait vers elle, quand il parlait. Mais d’un sourire indéfinissable, dont on ne savait même pas s’il était plus heureux que triste, autant celui du souvenir que de la joie secrète, et peut-être tout simplement un pli qui s’immobilise, une expression héréditaire, l’écho d’un bonheur qu’une de ses aïeules a connu…

D’ailleurs, elle donnait tout entière cette impression d’une douce personne d’autrefois. C’était le type primitif et intact de la Flandre. Puberté blonde comme les Vierges qu’on voit dans les Van Eycks et les Memlings. Des cheveux de miel ; et qui, déroulés, ondulent en frissons calmes. Le front est ogival, monte en arc cintré, paroi d’église, muraille lisse et nue, où les yeux plaquent leurs deux vitraux monochromes.

Joris se sentit d’abord attiré à elle… Maintenant, sans savoir comment, il en était arrivé à rêvasser de Barbe. Sa beauté tragique l’obsédait. Elle avait un teint étrange, comme soufré d’un orage intérieur. Et sa bouche trop rouge lui faisait trouver fades, par moments, les lèvres roses de Godelieve. Pourtant Godelieve lui avait plu ; elle lui plaisait encore, certes ; c’était une si jolie petite vierge ; et bien flamande, bien selon son idéal de Bruges et