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Omine et Nomine consecravit Anno 1629. » C’était, en effet, la cloche dont on lui avait parlé, une cloche d’Anvers qui appartint jadis à l’église de Notre-Dame, et dont on avait fait cadeau à la ville de Bruges. Ainsi la cloche pleine de péché portait le nom de la Vierge ; elle avait dépendu d’une église, sonné les saints offices ! C’était bien dans la manière d’Anvers et de son École d’art…

Joie bestiale de la chair ! On aurait dit, en bronze, l’idéal de Rubens, l’idéal de Jordaens, fixant ces vils moments de la race : explosion de l’instinct, fureur de l’orgie, saison de l’amour, lequel apparaît en Flandre par accès, rare et torride, comme aussi le soleil. Mais cette vision était plus anversoise que flamande. Borluut songea aux virginales imaginations mystiques des artistes de Bruges…

Cette cloche était donc l’Étrangère. Pourtant elle l’attira, l’obséda de visions charnelles. Il y avait des femmes renversées dans le bronze, avec des attitudes provocantes, des inflexions de corps, des clairs de lune d’extase sur le visage… Les unes offraient leur bouche en forme de coupe ; d’autres tendaient leurs cheveux comme un piège. Appels, tentations, débauches plus troublantes d’être confuses, étreintes comme aperçues dans l’obscurité et que l’imagination achève, aggrave. Tout ce qui était sur la cloche, Borluut le sentit tout à coup sur son âme, qui, à son tour, s’imagea de fêtes lascives. Il se mit à évoquer des femmes qu’il avait vues ainsi lui-même ; il se