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V


On peut dire que Borluut aimait d’amour la Ville.

Or, nous n’avons qu’un cœur pour toutes nos amours. C’était donc quelque chose comme la tendresse pour une femme, le culte pour une œuvre d’art ou une religion. Il aimait Bruges d’être si belle ; et, tel qu’un amant, il l’aurait aimée davantage d’être plus belle. Sa passion n’avait rien à voir avec ce patriotisme local qui unit ceux d’une cité par des habitudes, des goûts communs, des alliances, un amour-propre de clocher. Lui, au contraire, vivait presque seul, s’isolait, frayait peu avec les habitants, d’esprit lent. Même, dans les rues, il voyait à peine les passants. D’être isolé, il se mit à affectionner les canaux, les arbres éplorés, les ponts en tunnel, les cloches sensibles dans l’air, les vieux murs des vieux quartiers. Les choses l’intéressèrent, à défaut des êtres. La ville devint pour lui personnelle, presque humaine… Il l’aima, avec le désir de l’embellir, de parer sa beauté, une beauté mystérieuse d’être si