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garde. Elle seule avait mission d’y veiller, d’enlever la poussière, de ranger avec des doigts que la prudence assagissait, faisait légers comme une aile qui ventile et époussète. D’ailleurs, elle était sa fille préférée. Barbe, l’aînée, avec son teint d’Espagnole, le piment rouge de sa bouche, devenait fantasque et irascible. Pour un rien, elle s’emportait, boudait, s’exaltait en des colères. Il reconnaissait en elle tout le tempérament de sa mère qu’une maladie nerveuse avait tuée jeune encore. Il l’aimait pourtant, car des tendresses succédaient à ses humeurs, des câlineries brusques et sans transition, la détente d’un vent de tempête qui soudain se pacifie, chantonne, caresse les fleurs.

Au contraire, Godelieve, la cadette, l’entourait d’une affection égale, et délicieuse d’être ainsi monotone. C’était la sécurité de quelque chose qui est inaltérable et qui est fixe. Elle lui était complaisante comme un miroir. Il se voyait en elle, car elle lui ressemblait. C’était tout son visage, les mêmes yeux couleur des canaux, ces yeux du Nord où il y a de l’eau ; et aussi le même nez un peu fort, le même front vaste et plat, paroi lisse, mur d’un temple, où rien ne transparaissait, sinon un peu de lumière, des calmes fêtes du cerveau. Mais c’était surtout son âme, la même nature mystique et douce, qu’une rêverie intérieure occupe, casanière et taciturne, comme adonnée à dérouler des écheveaux de pensées, des brumes embrouillées. Ils passaient souvent des