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IV


Les villes mortes sont les Basiliques du Silence. Elles ont aussi leurs gargouilles : des êtres singuliers, exaspérés, équivoques, d’un relief figé ; ils tranchent sur la masse grise, qui prend d’eux tout son caractère, son tressaillement de vie immobile. Les uns sont déformés par la solitude ; d’autres sont grimaçants d’une ardeur sans emploi ; ici, des masques de luxure couvée ; là, des faces que le mysticisme sculpte et creuse sans cesse… Gargouilles humaines qui seules intéressent dans cette population monotone.

Le vieil antiquaire Van Hulle était un de ces types étranges, vivant retiré dans son antique maison de la rue des Corroyeurs-Noirs, avec ses deux filles, Barbe et Godelieve. D’abord, il s’était passionné pour la Cause flamande, avait groupé tous les patriotes militants, Bartholomeus, Borluut, Farazyn, qui venaient, chaque lundi, chez lui, s’exciter à des espoirs civiques. Soirs mémorables où ils conspirèrent, mais pour la beauté de Bruges !