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il n’avait pas eu le temps de préparer d’autres airs. Il s’était donc résolu à jouer encore une fois ses noëls anciens du concours. Il les exécuta avec nuance, avec une émotion et une petite fièvre heureuse au bout des doigts, tout à jouer, maintenant qu’il n’y avait plus autour de lui, comme le soir du concours, un va-et-vient dans la tour… Le vaste silence. Il entendit ses petits noëls cheminer dans l’air, descendre, trébucher aux clochers des églises, marcher sur les toits, entrer dans les maisons. Est-ce qu’on leur faisait encore accueil ? Quelle différence avec l’autre jour, où la foule entière les avait reçus dans son âme, quand ils descendirent ! Rêve inouï que cela fût arrivé ! Cela n’arriverait jamais plus. Est-ce que, du moins, dans ce moment, en jouant, il faisait lever les yeux à quelqu’un vers le ciel ? Envoyait-il une consolation à quelque âme en peine, une mélancolie à un cœur trop heureux et que son bonheur dénonce ?

Jouer ainsi, au-dessus de la foule, c’était réaliser une œuvre d’art. Pourquoi désirer savoir si elle émeut, enthousiasme, ravit, dorlote ? Éclore doit lui suffire. Toujours elle se répand, va ailleurs, accomplit sa destinée dont nous ne savons presque rien. Notre propre gloire nous est toujours extérieure, et elle se passe si loin de nous !

Borluut philosophait ainsi. Il se résigna. Ce n’est pas pour d’autres hommes qu’il jouait. Il avait concouru brusquement à cette fonction de carillonneur, uni-