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dans la ville ; or, les peines qu’il y avait recueillies et qui, là, gémissaient toutes vives, arrivées avec lui à la hauteur de la tour, commençaient à se dissoudre, à se transmuer de douleur en mélancolie et de larmes en pluie…

Borluut songea que c’était bien le symbole de la vie nouvelle où il entrait, cette vie de vigie et de sommet, confusément désirée, conquise par hasard ; et que, pour lui aussi, chaque fois qu’il monterait au beffroi, désormais, les ennuis se fondraient dans son âme, comme les plaintes se fondent dans le vent.

Il montait toujours. Çà et là, s’ouvraient des portes, laissant voir des chambres immenses, des dortoirs aux lourdes solives, où dormaient des cloches. Borluut s’en approcha, dans un vague émoi ; elles ne reposaient pas tout à fait, pas plus que ne reposent complètement les vierges. Des rêves traversaient leur sommeil. On aurait dit qu’elles allaient bouger, s’étirer, vagir comme des somnambules. Rumeur incessante parmi les cloches ! Bruit qui persiste, comme celui de la mer dans les coquillages ! Jamais elles ne se vident toutes. Son qui perle comme une sueur ! Brume de musique à ras du bronze…

Plus loin, plus haut, partout, apparaissaient de nouvelles cloches, alignées, l’air agenouillées, en robes pareilles, vivant dans la tour comme dans un couvent. Il y en avait de grandes, de fluettes, de