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enfin. Il éprouva une ivresse d’être, de marcher. Un vent vif, soudain, lui courut sur la peau. À cause du brusque afflux de clarté, il eut la sensation d’un clair de lune sur son visage. Maintenant, il ascensionnait plus vite, comme dans un air subtil où l’effort était plus aisé, la respiration plus souple. Il aurait voulu courir sur l’escalier de pierre… Une fièvre de monter l’avait saisi… On parle souvent de l’attirance du gouffre. Il y a aussi le gouffre d’en haut… Borluut montait encore ; il aurait aimé monter toujours, songeant avec mélancolie que sans doute l’escalier allait finir et que, au bout, au bord de l’air, il aurait encore la nostalgie de continuer plus loin, plus haut.

En ce moment une vaste rumeur affluait, enfilait l’étroit escalier. C’était le vent, toujours gémissant, qui sans cesse montait, descendait les marches. Douleur du vent qui se plaint de la même voix dans les arbres, dans les voiles, dans les tours ! Douleur du vent qui résume toutes les autres ! On retrouve, dans ses cris aigus, ceux des enfants ; dans ses lamentations, le chagrin des femmes ; dans sa fureur, le rauque sanglot de l’homme, qui rebondit et se brise. Le vent, qu’entendait Borluut, demeurait, certes, encore un total ressouvenir de la terre, quoique si vague déjà. Ce n’étaient plus ici qu’un mirage de plaintes, des voix pâlies, des échos de tristesses trop humaines et qui avaient honte. Le vent venait d’en bas ; il n’était si affligé que pour avoir passé