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quèrent sous ses pas, quelques-unes étant irrégulières, entamées comme la margelle d’un puits. Combien de générations avaient coulé là, aussi inlassables que l’eau, et quel piétinement de siècles pour aboutir à cette usure ! L’escalier de pierre tournait en courbes brèves, tortueux, repliant sans cesse sur lui-même ses nœuds de serpent, de maigre vigne. Il montait à l’assaut de la tour comme à l’assaut d’un mur. De temps en temps, une meurtrière, une fente dans la maçonnerie, d’où tombe un jour livide, une fine estafilade qui défigure l’ombre. D’être partielles, les ténèbres déforment tout : on dirait que la muraille bouge, agite des suaires ; une ombre au plafond est une bête accroupie et qui va s’élancer…

La spirale de l’escalier soudain se resserre, tournoie en ruisseau qui se tarit… Pourra-t-on encore passer là-haut, ou va-t-on s’écraser aux parois ? L’obscurité tout à coup augmentait. Borluut avait déjà gravi plus de cent marches, croyait-il. Mais il n’avait pas songé à compter. Maintenant son pas s’était réglé, allait dans un mouvement rythmique, instinctivement raccourci à la mesure des degrés de pierre. Mais à cause de cet enfoncement dans d’opaques ténèbres, un quiproquo de sensations naissait : Borluut ne sut plus dans quel sens il marchait, si c’était en avant ou à reculons, s’il montait ou s’il descendait. En vain, ne se voyant pas, il cherchait à préciser la direction de ses pas. Il lui sembla plutôt qu’il descendait, qu’il cheminait au