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tout l’opposition au Port-de-Mer dont il fut le promoteur, n’avait cessé de lui témoigner une haine militante et acharnée. Ç’avait été facile, cette fois, d’ameuter contre lui quelque groupe populaire, en le représentant comme l’ennemi public, le mauvais citoyen qui faillit faire avorter le projet dont on fêtait aujourd’hui le glorieux vote.

Barbe apparut en tempête, au haut de l’escalier. Joris, pour éviter une scène devant les domestiques, pénétra dans un des salons du rez-de-chaussée. Il y avait des pierres, des éclats de verre, partout. On avait même jeté des ordures. Barbe entra, livide. Sa bouche trop rouge eut l’air d’une blessure, comme si elle avait reçu une pierre au visage et saignait. Elle était échevelée, les cheveux lui battant le dos, en houle irritée.

— Vois encore ce qui nous arrive. C’est ta faute. Tu t’es conduit comme un fou !

Joris comprit son état, les nerfs en branle, la terrible colère blanche qui menaçait. Il put se contenir, essaya de s’esquiver, de gagner la porte. Elle, plus impatientée encore par son calme, qui n’était que de l’indifférence et du dédain irrévocables, s’élança, le saisit aux bras, lui cria dans la figure :

— J’en ai assez ! Je te tuerai !

Joris avait déjà entendu une fois l’horrible parole. Excédé, il se dégagea de son étreinte, la repoussa, la rudoya. Alors elle devint folle, hurla. Toutes les injures recommencèrent, la pluie de cailloux. On