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d’airs joyeux, tandis que son rêve avait agonisé en lui aujourd’hui même. Il songea aux comédiens qui, parfois, sont obligés aussi d’amuser, le jour où leur enfant est mort !

Quand il rentra chez lui, tard, Borluut se heurta à un drame. Personne ne s’était couché. Les servantes, encore tout en émoi et tremblantes, erraient comme des folles. Il y avait, dans le vestibule, des pierres, des débris, des éclats de verre. Elles lui racontèrent que, après le cortège, certains groupes avaient continué à circuler par la ville. On les entendait venir, entonnant des chants flamands, excités et un peu ivres déjà. Or, l’un d’eux, en passant devant la maison, se mit à faire retentir des clameurs, des sifflets aigus, mille injures et malédictions. De fortes voix crièrent : « À bas Borluut ! » Ils étaient nombreux et disciplinés ; sans doute qu’ils avaient tout prémédité, obéissaient à un mot d’ordre. En même temps que leurs cris, on perçut tout à coup un bruit strident, le cliquetis clair de toutes les vitres qui se crevaient, tombaient à terre, s’émiettaient. Une nuée de pierres avait volé à la même minute, traversa les carreaux, entra dans toutes les chambres, brisa des objets et des miroirs, sema de débris la demeure.

Borluut regardait, consterné. On aurait dit que la guerre avait passé. La maison semblait en ruines.

Il soupçonna tout de suite une vengeance de Farazyn qui, depuis le refus de Godelieve, depuis sur-