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Ce jour-là, il avait imposé son âme à la foule. Il lui fit comprendre l’art, la mélancolie, le passé, l’héroïsme.

Il la transsubstantia ! Il vécut lui-même en elle. Aujourd’hui, elle allait vivre en lui, lui imposer son âme à son tour, c’est-à-dire son ignorance, sa trivialité, sa cruauté.

La Grande Place était déjà envahie. Le cortège s’organisait, allait se mettre en marche. Tohu-bohu de musiques, de bouquets, de torches, de bannières. Les orphéons, les cercles de sport, les associations politiques, la ligue du Port-de-Mer, toutes les sociétés se succédaient, avec une décoration, une cocarde ou un brassard, quelque emblème collectif pour caractériser chaque groupe. Les inventions les plus baroques florissaient. Les membres du Cercle Saint-Christophe portaient des chapeaux lumineux dont chacun représentait une lettre, de façon à promener un chronogramme de fête. Ceux des sociétés de gymnastes étalaient leurs vareuses aux laideurs de costumes de bain, portaient des cannes, armes ridicules, qu’ils tenaient brandies, et marchaient au pas.

Le Cercle des vélocipédistes suivait, les machines ornées de lanternes vénitiennes, quelques-unes transformées en bateaux pour allégoriser les futurs navires et la prospérité du port. Toute la vulgarité, l’imagination médiocre de la foule éclataient.

Le carillonneur se navra du haut de la tour. Où en