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L’heure du rendez-vous, sur la Grande Place, était huit heures.

Borluut fut avisé qu’il serait de service à partir de la même heure. La cloche du Triomphe, suspendue à un étage inférieur de la tour, sonnerait tout le temps, ne cesserait pas dans l’air sa grande chevauchée héroïque. Le carillon aussi ferait entendre ses sonneries, tout un concert qui devrait durer aussi longtemps que le cortège.

Borluut, d’abord, s’indigna, se désola ; il était vaincu, décidément ; ses efforts, sa longue campagne n’étaient parvenus à rien entraver ; dans ce Parlement où, seule, une étroite politique règne, personne ne parla au nom de l’art ; l’intérêt électoral avait prévalu, et tout se consomma. Bruges, enfin, avait renié sa gloire de ville morte. Et maintenant on exigeait de lui, accablé, des chants, de la joie, une communion avec l’aveugle liesse populaire. Le carillonneur pensa refuser, démissionner plutôt sur-le-champ que de monter au beffroi, s’épuiser au clavier durant des heures, et faire s’égosiller en sons gais ses nobles cloches, tandis que lui, et elles aussi, auraient pris le deuil dans leur âme.

Mais il craignit les reproches de Barbe, redouta le désemparement des lendemains, quand il n’aurait plus le refuge de la tour, les dortoirs de cloches où aller un peu endormir ses peines.

Vers l’heure fixée, il ascensionna au beffroi. C’est