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ratifs, fermoir savoureux de pierres antiques, qui bouclait la ceinture des remparts. Elle serait sacrifiée à l’alignement vers les nouveaux bassins.

Déjà, en 1862 et en 1863, on avait abattu ainsi la tour de Sainte-Catherine, puis celle de la Bouverie, survivantes des neuf tours qui, à l’origine, montaient la garde, annonçaient, dès le seuil, le règne de l’art. Maintenant c’était la fin. Et Borluut se disait :

— Elle agonise, la ville du passé, la ville que j’avais faite. Ses beaux murs vont tomber. Tout cela qui fut Elle, moi seul je le conserve et le porte en mon âme. D’Elle, il ne restera bientôt plus que moi ici-bas !

Borluut pleura sur la ville et sur lui-même.

Car d’autres tourments le minaient. Barbe ne cessait pas d’être hérissée, véhémente parfois. Il ne la voyait qu’à peine, aux repas. Elle s’était mise à vivre tout à fait à part. Elle se cantonna à un autre étage de la maison, tout le second étage qu’elle accapara, de façon à être seule et libre. Par moments, elle avait des caprices de sorties, faisait des courses interminables et ne rentrait qu’à la nuit. À d’autres périodes, elle s’enferma chez elle, s’abîma en de longues prostrations, qui finissaient par des crises de larmes, des sanglots aigus.

Joris n’y pouvait rien, se sentant si loin d’elle ! D’ailleurs elle s’était toute reprise. Dès la trahison découverte, elle ne lui appartint jamais plus. Elle éprouva comme une peur, une répulsion physique de lui. Il lui semblait que ce serait elle, désormais, qui,