Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/302

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

VI


Dans le beffroi, Borluut retrouva un asile, un domaine de rêve et d’oubli. Il eut à nouveau, toutes les fois qu’il y montait, la sensation de quitter ses chagrins, de se quitter lui-même et de quitter la vie. Le charme ne manquait plus d’opérer. À peine en marche dans l’escalier tournant, il se pacifiait soudain. Dans l’ombre opaque, il ne voyait plus rien de ses blessures intimes. Le vent du large soufflait, descendait à sa rencontre, l’accueillait, lui balayait le visage, l’éveillait à une existence nouvelle, où tout le reste fuyait comme un cauchemar.

Chaque jour, maintenant, il s’isola dans la tour, y passa de longues heures, même quand le service du carillon ne l’y obligeait pas. Ce fut désormais sa vraie demeure, le lieu de son exil volontaire. Quel bonheur qu’on ne lui eût pas supprimé également sa charge de carillonneur ! Il serait mort, de vivre toujours parmi les hommes. Il était si différent d’eux ! Il s’était trop habitué à regarder les choses de plus