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Vraiment, comme elle était changée ! Est-ce le costume de béguine, cette coiffe stricte enserrant ses cheveux qu’on ne voyait plus ? Joris eut des larmes aux yeux en songeant à la chevelure de miel. Est-ce la mélancolie d’une vie où elle s’était jetée au lendemain d’un désastre et sans vocation peut-être ?

Joris espéra, s’avança, tendit la tête ; encore un peu il tendait les bras, risquait tout, forçait les rangs, entrait la reprendre dans ce cortège de fantômes, l’arrachait de force à la croix où elle se crucifiait elle-même.

Godelieve l’avait vu. Instantanément, elle se détourna. On aurait dit qu’elle avait aperçu le démon. Son visage chavira. Ses yeux furent clos. Elle resta les paupières retombées, l’air d’une morte. Déjà elle était passée. Sa face pâle avait étincelé une minute, comme la lune sur la mer. Puis une vague humaine roula, l’effaça ; d’autres suivirent. Joris continuait à la chercher par-delà les remous. Il garda un espoir. Elle l’avait reconnu. Maintenant elle réfléchissait, se remémorait peut-être, subissait la tentation revenue, sentait dans sa chair les anciennes étreintes, les baisers couvant, l’amour inoubliable. Tout pouvait recommencer. Il fuirait avec elle, n’importe ou, au bout du monde.

Il l’appela tout haut : « Godelieve ! Godelieve ! », comme s’il l’exorcisait de la possession de Dieu, l’envoûtait de son propre amour, et que son nom