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D’ailleurs leur pénitence, en étant publique, ne serait que plus édifiante et expiatoire.

Joris chercha, interrogea, fouilla ardemment cette masse confuse, presque uniforme à cause du deuil et des croix. Ses yeux volèrent, voletèrent, butinèrent tous les visages qui se montraient nus. Il n’avait pas assez de ses yeux. Il lui sembla, alors, que ses yeux s’engendraient, se multipliaient, devenaient les yeux innombrables d’une foule, pour tout voir à la fois et trouver Godelieve. Est-ce qu’aucun fluide n’existait plus entre eux qui les ferait se reconnaître, se sentir à distance, s’attirer ?

Tout à coup Joris frissonna. Oui ! Godelieve était là. Mais combien changée, toute pâle, et plus elle-même ! Elle marchait aux derniers rangs, un peu en arrière, à cause d’un pénitent qui avait nécessité un espace vide autour de son pèlerinage ostentatoire, promenant une énorme croix, sous laquelle il défaillait et qu’il traînait comme les ailes d’un moulin !

Godelieve le suivait, aussi exténuée que lui sous une croix moindre, mais qu’elle avait choisie trop lourde. N’était-ce pas la peine du péché double, le poids qu’aurait pesé sa faute, si elle avait fructifié jusqu’au bout ?

Joris, en la revoyant, songea au Vœu, au motif du Vœu. Godelieve allait, pieds nus aussi, résolue quoique ployante, comme si elle voulait marcher ainsi jusqu’à son tombeau, dont elle portait déjà la croix.