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prit la parole. Le texte s’encolérait, précipitait les colloques, les onomatopées sauvages. Ce fut un charivari de voix et d’instruments. Le Christ passait, ployait sous le poids de sa lourde croix. Il tomba. Les vociférations s’accrurent. Une fureur qu’on eût dite réelle, gagna les acteurs. Quelques-uns se précipitèrent, bousculèrent le Christ, l’obligèrent à reprendre la croix, aidé par Symon de Cyrène, à continuer la route vers le Calvaire. L’Homme-Dieu blêmit, sua une authentique sueur d’agonie.

Celui qui figurait ainsi le Christ portant la croix n’était pas le même que celui qui avait assumé le rôle du Christ entrant à Jérusalem, mais il lui ressemblait, un peu plus maigre et moins jeune. C’était une raison supplémentaire de s’attendrir en voyant ce Christ avec, au fond, le même visage, mais si vite changé et tant vieilli ! Il faiblissait, inclinait à la troisième chute. Le vacarme recommença et ne connut plus de bornes. Une rage folle emporta les soldats romains et les juifs. Les voix crièrent toute l’injure. En même temps, les instruments s’affolèrent. On eût dit que la tempête elle-même soufflait dans les trompes. Des crécelles de bois s’en mêlèrent, grincèrent comme si elles écrasaient des ossements. Les cornets à bouquin aboyèrent. Des porte-voix sonnèrent des appels lugubres. Hors des trompettes, il coula du vinaigre pour imbiber l’éponge.

À ce moment, les bourreaux intervinrent, rudoyèrent Jésus.