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Quand les bergers et les mages s’avancèrent, les uns et les autres cheminaient vraiment vers la crèche ; convaincus, ils conversaient à voix haute, s’interpellaient, engageaient des colloques, discutaient, selon le texte immémorial, rimé jadis par quelque chanoine, et qu’ils récitaient de mémoire.

L’air s’emplit de leurs rumeurs et de leurs clameurs, toute cette mélopée rauque que sont les alexandrins flamands, plus gutturaux encore de passer par des voix populaires.

C’est dans la scène : « Jésus au milieu des docteurs », que la déclamation devint sonore et vraisemblable. Les douze docteurs, vieillards à barbe grise, à mine sourcilleuse, s’exaltaient, gesticulaient et criaient. Le caractère de chacun se précisait, se différenciait. Le troisième docteur apparut inquiet, conciliant aussi. Il dit avec emphase :

L’oraison de Juda ne peut être exaucée,
Avant que soit venu celui qui doit venir.

Le dixième docteur s’avéra orgueilleux :

Ce que je ne vois pas qui le verra jamais ?
Qui, en dehors de moi, cherche ?

D’autres avis montèrent dans l’air. Les vers se déroulèrent, se heurtèrent. Les voix se mêlèrent. Ce fut le bruit d’un débat pathétique qui va pour un peu se changer en dispute. Tous péroraient avec des gestes saccadés, se passionnaient. Tout à coup, Jésus parla, un doux enfant, vêtu d’une tunique