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l’étape du soir. On aurait dit qu’un cimetière avait marché — et abouti là ! Cela semblait toutes les croix inégales d’un cimetière, ayant quitté les morts qui sont les vivants d’hier pour appartenir un peu aux vivants qui sont les morts de demain. Ce soir seulement, elles étaient vacantes de la foule et se reposaient.

Envahi par trop d’afflux funèbres, Borluut s’enfuit, chercha du bruit, des passants, d’autres images. Il arriva sur la Place, historiée de quelques fines architectures, presque un coin de Bruges, réduit et plus humble, pittoresque néanmoins, avec cette façade d’une ancienne châtellenie et l’Hôtel de Ville, au péristyle ajouré, aux sveltes colonnades. En face, le vieux clocher d’une église, plus émouvant d’être inachevé. Ô beauté des tours interrompues, qui se continuent dans du rêve et que chacun termine en soi !

Malheureusement une foire était installée au centre, des baraques, des toiles peintes, des manèges pleins de verroterie, où meuglent des orgues et des cuivres. Absurde anomalie, consentie par l’autorité, de mêler cette kermesse à la procession et les farces des pitres au drame sacré de la Passion. Ne faudrait-il pas que les pénitents apparussent dans du vide et dans du silence ? Borluut s’offensa ici encore du mauvais goût des modernes qui ne peuvent rien harmoniser. Il se promit bien de voir défiler le cortège ailleurs, dans quelque rue lointaine et