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et furent embaumées en des temps très anciens. De là, cette senteur de momies au long des nefs.

Quelques cierges brûlaient, faisaient saigner l’ombre, ci et là, dans les chapelles, dont des barrières fermaient l’entrée et où s’encombraient les oripeaux, statues, cartels et accessoires de la procession.

Soudain, dans un des bas-côtés, Borluut aperçut les croix qui devaient servir aux pénitents du lendemain. Il y en avait des centaines, appuyées aux murs, accumulées, groupées selon leur dimension et leur poids. Les unes étaient en bois rugueux, comme taillées à la hache, et peintes d’ocre grossier ; les autres plus petites, noires et lisses. Les plus grandes avaient la hauteur et la pesanteur d’un arbre. Borluut essaya vainement de les soulever. Pourtant il viendrait demain, de tous les endroits de la Flandre, des pénitents qui les jugeraient moins lourdes que leurs fautes et seraient capables de les porter à travers les rues, pieds nus et en sueur sous la cagoule. Ainsi, chacun se choisirait une croix à la mesure de son péché.

Joris songea à Godelieve. Il la voyait déjà s’exténuant sous un fardeau, voulu trop lourd, un fardeau double, puisqu’elle entendrait porter leur péché, le péché d’amour qui appartient à deux.

Laquelle de ces croix allait-elle choisir ?

Joris tremblait, s’effarait, de toutes ces croix entassées dans l’ombre, debout ou couchées. C’était, pour elles, la veillée avant la procession dramatique,