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nostalgique d’une hôtellerie d’autrefois. Dans sa fenêtre ouverte s’encadrait un paysage séculaire : c’étaient le vaisseau, sans clocher, mais arc-bouté et surgi haut, de l’église de Sainte-Walburge ; et le beffroi, octogone et qui s’effile en campanile. Or, entre les deux monuments, évoluait une bande d’innombrables corbeaux, agglomérés, rapprochés l’un de l’autre, presque contigus. Ils ne cessaient pas d’aller du beffroi à l’église et de l’église au beffroi, ne se posant qu’une minute, repartant aussitôt. Leur masse oscillait comme un feuillage au vent. C’était un flux et un reflux incessant, une vague noire dans l’or du soir, qui, sans fin, se reformait, roulait sa volute, se sculptait en ténèbres. Il y avait, dans cette allée et venue, quelque chose d’inexorable et de fatidique. On aurait dit un vol de pensées indignes, environnant l’église et la tour, qui voulaient y entrer et ne seraient jamais accueillies.

Joris rêvassa, se vit lui-même en cette allégorie, et ce qu’il aurait dû être.

Lui, dans son beffroi de Bruges, avait ouvert à l’essaim noir, aux mauvais désirs, aux voluptés. Tous ces corbeaux, circonvenant les tours d’ici, il les portait en lui, déferlement d’ailes, remords criards, va-et-vient d’éternelle incertitude. Quelle leçon lui tombait, à cette heure, de l’église et du beffroi, où les corbeaux ne croassaient qu’au dehors !

Joris sortit, erra par la ville, arriva à Sainte-Walburge par une petite esplanade, une sorte de